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Sophie Sesmat,
spécialiste en arts
et traditions populaires
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Fourche du Diable

Outils et instruments des métiers d'autrefois
Pour récolter les racines de gentiane, les hommes ont utilisé deux outils très spécifiques : une pioche, appelée « ancre », mais aussi une fourche spécialement conçue pour cet usage, qui ils donnèrent le nom de « fourche du diable ».
Depuis des centaines d'années et avec les rhizomes ainsi récupérés, les hommes fabriquent un alcool, communément appelé « gentiane » ainsi que divers produits pharmaceutiques.
 
Parmi les différentes variétés de gentianes sauvages, seule la gentiane jaune se récolte.
Elle pousse dans les pâturages et orées des bois de haute et moyenne montagne. On la trouve à partir de 1700 m d’altitude dans toutes les Pyrénées et dès 800 m en Auvergne et dans le Jura.
 
Ses rhizomes sont profondément enfouis dans le sol et c’est un travail de titan que de déterrer ces précieuses racines, car c’est un travail exclusivement manuel.
Celles-ci peuvent en effet mesurer jusqu'à 1m de long et peser jusqu'à 5 kg, pour la totalité du système racinaire de la plante. De son côté, la plante peut atteindre 1.50 m de haut, en pleine floraison.
L'arrachage des rhizomes de gentiane commence en juin, lorsque le vent d'autan a effacé les dernières congères et elle se poursuit jusqu'en octobre, au début des premiers frimas de l’hiver.
Cependant, les anciens recommandaient d’attendre l’automne, la période la plus favorable selon eux, car les graines de gentiane ont déjà mûri et se sont répandues, ce qui permet un renouvellement de l’espèce et la préservation de l’écosystème. De plus, la plante reste encore bien identifiable à cette époque de l’année et la teneur en substances amères de la racine est plus élevée. Comme il est rare que les  racines soient complètement arrachées, il faut savoir que tout morceau de rhizome restant donne à nouveau naissance à une plante.
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Autrefois, un type de pioche appelée  « l'ancre » était utilisée. Les arracheurs s'en servaient comme d'un levier pour déterrer les rhizomes.
Mais c’est la fourche à gentiane qui est la plus efficace.
Deux régions se bataillent la création de la « fourche du diable », certains la disent jurassienne d’origine (où elle porte le nom de « croc ») et d’autres qu’elle fut mise au point en Auvergne.
Selon eux, elle fut inventée en 1960 par Antonin Auzolle, un auvergnat. Puis elle fut perfectionnée par un habitant de Saint Simon.
Moi, j’en doute, je la pense bien plus ancienne ! C’est plutôt un outil qui date, en terme de conception, du XIXème siècle et qui est bien auvergnat.
La « fourche du diable » est en effet particulièrement adaptée au sol des régions volcaniques.
Il semblerait en fait que les jurassiens aient tenté de copier la fourche à gentiane, mais sans succès, justement à cause de la nature de leur sol, différente de celle d’Auvergne.
 
La « fourche du diable » est une fourche étroite dont le fourchon est en métal, doté de deux longues dents droites ou légèrement courbes, munie d'une sorte de marchepied, ou de deux cales pied de part et d’autre du fourchon, sur lequel le « gentianaire » (nom donné au récolteur de gentiane ou « gençanaïre » en patois) saute pour enfoncer les dents dans le sol.
Elle est généralement dotée d’un long manche, qui permet de décupler la force du gentianaire. Les pointes et lames ont été renforcées et rallongées, parfois de manière démesurée, pour permettre un arrachage facilité et moins d’effort, mais surtout pour résister à la pression due à l’extirpation des racines, car l’homme doit peser de toutes ses forces sur le long manche pour extraire la racine.
 
Sachez qu’un bon arracheur peut extraire 200 à 300 k de racines par jour. Le tout, à la simple force de ses bras !
 
La plante met une vingtaine d’années à acquérir la taille adulte, ne fleurit que tous les deux ans et ne fleurit la première fois qu'au bout de sept ans. La récolte ne porte que sur des plantes largement adultes (de 15 à 20 ans).
Les racines trouvent plusieurs emplois : en distillerie et en pharmacie herboristerie.
En distillerie pour l’apéritif : les rhizomes sont triés, lavés, brossés puis coupés en petites carottes qui vont macérer pendant un an dans de l'alcool de très bonne qualité. Ils sont agrémentés d’infusions de plantes aromatiques. Ce n’est qu’après de longs mois de macération des racines dans l’alcool qu’intervient la distillation. Le jus extrait (alcoolat de gentiane) sert de base à la préparation de la belle liqueur dorée à l'exquise amertume, commercialisée sous différentes marques.
N’oubliez pas que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et qu’il est à consommer avec modération.
En pharmacie herboristerie : Cette plante a des vertus multiples : elle est tonique et fébrifuge (elle chasse la fièvre). Après une promenade en montagne, si vous avez la gorge sèche, après l'avoir déterré et écorcé, vous pouvez sucer un morceau de rhizome; vous en serez tout ragaillardi. Mais attention, la Gentiane a une cousine redoutable, le vératreblanc, très toxique!
Seuls les rhizomes de printemps sont utilisés en herboristerie, pharmacologie et cosmétologie, après avoir séché pendant tout un été dans un enclos sur l'estive puis dans un local aéré.
La gentiane est aussi utilisée en médecine naturelle pour traiter les troubles alimentaires dus à l’anorexie.
 
Bien que cette plante soit cultivée, la récolte de la gentiane sauvage reste une source importante de revenu commercial et elle aide aujourd’hui à valoriser les régions forestières.
 
Comme les montagnards, surveillez la grandeur de la lampe florale des gentianes jaunes, car elle annonce la hauteur de neige de l’hiver à venir.
 
Un dernier mot : si vous en trouvez une, gardez-la précieusement, ça ne court par les rues !

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