POUR EN SAVOIR PLUS SUR L’ŒUVRE DE MARCEL DUCHAMP
Extrait du catalogue Collection art moderne - La collection du Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, sous la direction de Brigitte Leal, Paris, Centre Pompidou, 2007
En 1914, Marcel Duchamp acquiert, au rayon quincaillerie du Bazar de l’Hôtel-de-Ville, un porte-bouteilles. Plus tard, il justifie cet achat : « Ce choix était fondé sur une réaction d’indifférence visuelle, assortie au même moment à une absence totale de bon ou mauvais goût… en fait une anesthésie complète » (M. Duchamp, « À propos des readymades », dans Duchamp du signe. Écrits de l’artiste réunis et présentés par Michel Sanouillet, Paris, Flammarion, 1975 ; rééd. 1994, coll. « Champs », p. 191).
La lettre que Duchamp adresse à sa sœur Suzanne pour lui annoncer son invention du readymade donne de l’objet une description qui en fait le véritable premier des readymades : « […] Si tu es montée chez moi, tu as vu dans l’atelier une roue de bicyclette et un porte-bouteilles. […] J’ai une intention à propos de ce porte-bouteilles. Écoute […] prends pour toi ce porte-bouteilles, j’en fais un readymade à distance. Tu inscriras en bas et à l’intérieur du cercle du bas, en petites lettres peintes avec un pinceau à l’huile en couleur blanc d’argent, l’inscription que je vais te donner ci-après et tu signeras de la même écriture comme suit [d’après] Marcel Duchamp » (M. Duchamp, cité dans Francis M. Naumann, Marcel Duchamp : L’art à l’ère de la reproduction mécanisée , Paris, Hazan, 1999, p. 64-65).
En 1921, lors d’un séjour à Paris, Duchamp refait le Porte-Bouteilles pour l’offrir à sa sœur. Il sera présenté, en 1936, dans l’exposition d’objets surréalistes de la galerie Charles Ratton. Dès sa naissance, le readymade (version du Musée, cat. rais. 1, no 306 g), comme d’ailleurs la plupart des œuvres de Marcel Duchamp, est doté d’une double dimension : plastique (visuelle) et scripturaire (intellectuelle).
Le Grand Verre ne saurait être pleinement compris sans les Notes autographes de la « Boîte verte » , 1912-1915 (son commentaire, le récit de sa genèse) qui en constituent le complément « spirituel ». Qu’une des composantes du readymade vienne à manquer (ce qui est le cas de l’inscription du « hérisson », autre nom du Porte-bouteille ), et le voilà privé de sa composante verbale, intellectuelle, condamné à sombrer dans l’univers du « rétinien » honni par Duchamp. « C’est trop fort ! Ce damné Hérisson […] est devenu un grand souci. Il a commencé à devenir trop beau », constate Duchamp avec amertume (M. Duchamp, cité par Francis M. Naumann,op. cit. , p. 261).
Références bibliographiques :
Marcel Duchamp, cat. exp., 2 vol., Jean Clair (dir.), Paris, Musée national d’art moderne, 31 janvier-2 mai 1977, Paris, Éd. du Centre Pompidou, 1977
Arturo Schwarz, The Complete Works of Marcel Duchamp, Londres, Thames & Hudson, 19692 vol. (vol. I : The Text, vol. II : The Plates, Critical Catalogue raisonné, the Sources). Rééd. New York, Delano Greenidge, 2000(1 vol.). [cat. rais. 1]
Didier Ottinger, Marcel Duchamp dans les collections du Centre Pompidou-Musée national d’art moderne, cat. exp., 2 vol., Jean Clair (dir.), Paris, Musée national d’art moderne, 31 janvier-2 mai 1977, Paris, Éd. du Centre Pompidou, 2001.
Notice rédigée par Didier Ottinger