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Sophie Sesmat,
spécialiste en arts
et traditions populaires
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Paire de soles

Objets de la vie pastorale et agricole
Les soles étaient utilisées pour décortiquer les châtaignes : en marchant sur un tapis de châtaignes, les chaussures séparaient le fruit de la coque. 
Ce temps de séchage ou de dessiccation se faisait soit au soleil (plutôt rarement) ou plus couramment à l’aide d’un four situé dans un bâtiment spécifique qui s’appelle simplement un « séchoir à châtaignes » ou une « clède » (les plus anciens fours à châtaignes datent du XVIème siècle).
Un feu était entretenu au rez-de-chaussée du bâtiment pour faire sécher les châtaignes étalées sur un plancher ajouré à l’étage. Les hommes brûlaient pour cela et entre autres, les bogues séchées de l'année précédente.
 
Au bout d'un mois de ce traitement de choc, les châtaignes devenaient dures comme de la pierre!
Il fallait ensuite débarrasser les fruits de leur écorce, rendue craquante par la chaleur.
Plusieurs techniques de « battage » ou de « pisage » étaient alors en usage, pour débarrasser les châtaignes de leur première peau dure et marron (le péricarpe).
Cette opération pouvait s'effectuer de plusieurs manières : avec une sorte de pilon garni d'aspérités (masse à battre les châtaignes ou pise) ou encore en jetant le sac rempli de châtaignes contre un obstacle (comme billot) et aussi en chaussant des soles.
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En Ardèche, les châtaignes étaient étalées en petite quantité sur une épaisseur de quelques dizaines de centimètres, dans un genre de pétrin, une cuve ou une caisse en bois. Elles étaient alors foulées et piétinées par des « dépiqueurs » chaussées de ces étonnantes chaussures.
Les lames écorçaient les fruits par frottement et par pression.
Dans le Vivarais, cette étape s’appelle le « blanchiment » ou le « repisage ».
Le « repisage » consiste spécifiquement à enlever la seconde peau fine et fripée (le tan). On parle alors de « repisaires » (hommes chaussés de soles qui ôtent la seconde peau des châtaignes).
Le dépiquage effectué, les poussières et les débris de peau étaient éliminés par un crible formé de lames de bois fendues très fines. Ainsi, étaient séparées les blanchettes ou bajanes (belles châtaignes) châtaignes brisées destinées à être transformées en farine, de celles restées molles et des belles châtaignes blanches et entières, gardées pour la vente et la consommation personnelle.
 
Entre 1928 et 1929, Marius Monnier invente « le piseur » ou le « décortiqueur » qui va bouleverser le décorticage des châtaignes sèches. Les châtaignes entrent dans la machine par le haut avec leur peau, sont décortiquées et ressortent par le bas épluchées et triées. Tous les systèmes actuels dérivent directement de cette invention.
 
Les châtaignes pouvaient aussi être conservées fraîches sur quelques m2 situés dans la châtaigneraie qui s’appelle « l’éricée ». Elles y étaient stockées à l’abri du gel, sous 30 cm de feuilles mortes de genêts ou de fougères.
 
Les soles furent utilisées jusque vers les années 1960.
 
La culture de la châtaigne
 
C’est vers le VIème siècle avant JC que, de l’avis général, naît la culture du châtaignier. Les points d’origine semblent être la Transcaucasie, l’Arménie, et la Perse d’où elle va gagner le monde grec. C’est avec Théophraste au IVème siècle avant JC que le fruit est clairement cité et parfois nommé « gland de Zeus ». De là, il passe au monde romain où la châtaigne est baptisée sans ambiguïté « castanea ». La culture se développe au Moyen-Age jusqu’au XVème siècle où les contrats de métayers ne cessent de le mentionner. L’apogée des plantations se situe au XVIème et XVIIème siècles. L’intendant du Limousin note en 1698 : « (…) tout le pays est couvert par quantité de bois de châtaignier dont le fruit fait la principale nourriture des habitants (…) ».
 
La culture de la châtaigne constitue une part importante de l'économie rurale de certaines régions, les Cévennes, le Limousin, la Lozère, l'Aveyron, le Vivarais et la Corse, principalement.
Les châtaignes sont récoltées de la fin septembre jusqu’en octobre.
 
Arbre providentiel des zones de pente, le châtaignier était surnommé « l’arbre à pain ».
L’homme s’est appliqué à entretenir et multiplier les châtaigniers, arbres nourriciers.
La châtaigne s’impose comme principale culture et monnaie d’échange dans les Cévennes et Boutières ardéchoises.
Les paysans produisent plus de châtaignes qu'il ne leur en faut pour leur alimentation. Le surplus est échangé contre d'autres produits de la montagne aux muletiers qui descendent du foin, du lard et des fromages mais aussi contre du vin et de l’huile d’olive.
Les agriculteurs arrivent avec le temps à sélectionner des variétés adaptées à toutes les expositions. Grâce à des rendements supérieurs aux céréales, la châtaigne les remplace progressivement.
Le séchage permet de conserver les châtaignes toute l’année, pour faire face aux nombreuses famines provoquées par les caprices climatiques, les guerres et les épidémies. La population devient en grande partie dépendante de cette récolte. Les années de grand gel ou de sècheresse prolongée qui la prive de châtaignes sont catastrophiques.
 
La châtaigneraie commence son déclin vers la fin du XVIIIème siècle.
Au cours des siècles, les paysans d'Ardèche ont appris à tirer le meilleur parti du châtaignier pour se nourrir. Ils exploitaient également le bois et tout ce que l'arbre fournissait, pour quantité d'utilisations de leur vie quotidienne. Les charpentes et menuiseries étaient construites en châtaignier, tout comme le mobilier des habitations paysannes (pétrins, bancs, coffres). Les troncs évidés formaient le corps des ruches. Coupés en deux, dans le sens de la longueur, ils se transformaient en abreuvoirs, mangeoires, armoires appelées "berles".
Pratiquement imputrescible, ce bois était utilisé pour tous les objets en contact avec l'eau. Cette propriété était aussi utile pour la fabrication d'échalas et de piquets.
Les jeunes rejets coupés au printemps offraient des éclisses et des arceaux nécessaires à la confection de paniers, indispensables aux nombreux travaux de la ferme.
Les branches ou arbres morts fournissaient le bois de chauffage. Les souches mêmes des châtaigniers abattus étaient déterrées pour être brûlées dans la cheminée et tenir le feu pendant les longues nuits d'hiver, entretenant de paire le chauffage de la « clède », destinée à faire sécher les châtaignes.
Les bogues, quant à elles, étaient brûlées, enterrées ou mélangées au fumier pour faire de l'humus et les feuilles servaient de litière aux animaux.
Les brisures issues du dépiquage et les châtaignes tachées ou pourries, parfois transformées en farine, étaient utilisées pour l'alimentation des animaux.
 
Les plantations se poursuivent jusqu'au XIXème siècle sous la pression d'une population qui arrivera à son maximum en 1860 avec 385 000 habitants. Les pentes ardéchoises sont particulièrement peuplées à cette époque, grâce aux élevages de vers à soie et aux moulinages implantés dans les vallées.
Cependant cette activité va connaître une succession de crises, avec la maladie du ver à soie, la pébrine, qui décime les élevages et la concurrence des pays asiatiques dont les expéditions sont facilitées par l’ouverture du canal de Suez en 1868.
C’est le début de l’exode rural et la production de châtaigne devient surabondante.
A partir du moment où l'arbre ne revêtait plus, pour les Ardéchois, l'importance vitale des époques antérieures, les agriculteurs ont négligé son entretien, rendant, du même coup l'espèce plus sensible et vulnérable aux maladies.
La maladie de l'encre apparut en 1875. Ce champignon, qui attaque les racines et asphyxie l’arbre, provoqua de lourdes pertes dans les châtaigneraies. Elle est due à un champignon microscopique, le Phytophtora qui se développe sur les racines de l’arbre et les détruit. Lorsque la sève malade s’écoule de l’arbre par les lésions, elle s’oxyde à l’air et prend une couleur noire, d’où le nom de la maladie.
Et puis, lassée de manger des châtaignes tous les jours, la population s’est tournée vers une alimentation plus diversifiée dès qu’elle en eut la possibilité. La châtaigne souffrait d’ailleurs d’un certain mépris de la part des citadins plus aisés.
 
A cette époque, des usines d’extraits tannants se sont installées dans les vallées pour extraire le tanin du bois de châtaignier dont l’industrie du cuir avait besoin. C’est ainsi qu’entre 1897 et 1963, plus d’un million d’arbres ont été abattus en Ardèche.
Dans les années 1920, alors que la production a diminué de moitié, les responsables politiques s'émeuvent de ces abattages massifs :
"Le conseil général de l'Ardèche considérant que la destruction des châtaigneraies dans le département s'accentue de jour en jour et constitue à plusieurs points de vue une atteinte grave à l'intérêt public, émet le vœu que le Parlement adopte le plus tôt possible l'une des propositions de loi déposées sur le bureau de la Chambre ou au Sénat en vue de réglementer l'abattage du châtaignier."
 
En 1956, suite à l'hiver très rigoureux qui affaiblit les arbres, c’est l'endothia (ou chancre de l'écorce) qui sévit. Ce champignon parasite d’origine asiatique a d’abord décimé la châtaigneraie américaine au début du XXème siècle, avant d’être transporté en Italie pendant la première guerre mondiale. Il s’est ensuite répandu en France.
 
Aujourd’hui la châtaigne ardéchoise est préservée par la création d’un A.O.C.
Elle se vend sous la forme de farine, purée, sèche et fraîche. C’est entre autre, l’industrie de la confiserie qui lui a donné un nouvel essor.
 
Quelques informations en vrac
 
Un peu de patois local maintenant : le terme « castagnade » évoque proprement l'action de « châtaigner», c'est à dire ramasser des châtaignes, en occitan on dit « acampar las chastanhas ». La pratique qui consistait à manger en famille ou entre voisins des châtaignes grillées était appelée « roustide » et en occitan « rostida », ce qui signifie en français « rôties ».
 
Les châtaignes se ramassent traditionnellement à la main. Selon la configuration des châtaigneraies, les bons cueilleurs peuvent ramasser jusqu'à 150 ou 200 kg de châtaignes par jour. Autrefois, les propriétaires rémunéraient les cueilleurs... en châtaignes !
 
Les noms de communes, villages, lieux-dits formés à partir du nom dialectal du châtaignier sont fréquents. Qui ne connaît un lieu ayant pour nom Castaing ou Castagnac, Chastenay, Châtenet ou le Châtenois, ou plus simplement la Châtaigneraie.
 
Certains marronniers français ont plus de 400 ans. Un sujet planté en 1606 est visible dans le parc d’un hôtel à Vézac (Cantal). Les châtaigniers auraient une longévité exceptionnelle. On trouve dans le sud-ouest de très gros exemplaires qui ont plus de 500 ans. Au bord du Léman, à Thonon et à Evian, les troncs de deux châtaigniers ont 14 et 15 m de circonférence. Ils pourraient avoir atteint le millénaire.
 
Plus curieusement, les châtaignes ont été considérées comme ayant une relation avec les morts. Dans beaucoup de régions, il fallait manger des marrons grillés le soir de la Toussaint. Dans la Vienne, on se rassemblait dans des lieux plantés de châtaigniers le jour de la Toussaint. Les mêmes usages se retrouvent au Piémont.
 
SOURCES
Pour la culture de la châtaigne : http://www.sabaton.fr

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